Film “Gauguin, Voyage à Tahiti” (2017) | L’Atelier Sauvage ou Tristes Tropiques ?

Samedi, par un bel après-midi d’automne, je suis allé voir le film « Gauguin, voyage à Tahiti » d’Edouard Deluc avec Vincent Cassel en Gauguin et Tuheï Adams en Tehura. Je pensai y retrouver quelques éléments des lettres du Sauvage à mon arrière-grand-père George Daniel de Monfreid ou de Noa Noa, le récit qu’il a fait de ce séjour. Il y avait de cela dans ce « biopic » mais aussi un manque de chaleur pour l’artiste qui a peint de telles merveilles de la vie tahitienne et un certain flou dans le récit. Je m’explique.

Les acteurs?

Vincent Cassel dans le rôle de l’artiste bourru est crédible. Tuheï Adams fait une belle Tehura ou tout au moins, un beau modèle. On la voit poser pour certaines très belles toiles comme Nafea Faaipoipe (Quand te maries-tu ?), Manao Tupapao (L’esprit des morts veille), Otahi (Seule) ou Merahi metua no Tehamana (Tehamana et Tehura sont la même personne et a de nombreux parents). Le décor de végétation tropicale est beau bien que manquant des couleurs tropicales du peintre. La photo n’est pas l’œil des impressionnistes ou synthétistes. 

La question n’est pas là. Elle est inhérente aux récits que le peintre a fait de sa vie tahitienne à son épouse Mette et à George Daniel dans ses lettres et au récit de sa vie qu’il a écrit dans Noa Noa. A son épouse, il racontait l’accueil chaleureux des autorités, l’enterrement du roi Pomaré ou ses ennuis de santé. À George Daniel, ses ennuis d’argent mais aussi ses réalisations artistiques. Dans Noa Noa il fait la peinture d’un univers tropical idyllique, ses amours avec Tehura et les légendes du panthéon tahitien que la belle maori lui aurait raconté. Chacun son public : la préservation de la famille pour Mette, la chasse à la vente et à la récupération des dettes pour George Daniel et le monde merveilleux d’une civilisation perdue pour les futurs acheteurs de ses toiles à son retour en France.

Gauguin

Hélas, tout cela ne fait pas une histoire. Edouard Deluc a choisi l’option de faire de Gauguin un artiste maudit, malade, sans le sous, survivant dans un monde colonial qui n’est pas le sien : « Tristes Tropiques » en quelque sorte ! Il en fait un amoureux, ayant du mal à assouvir les besoins d’élégance de la jeune femme et l’enfermant dans une maison coloniale pour qu’elle ne s’échappe pas. Gauguin serait arrivé pauvre à Tahiti et reparti pauvre, méprisé par la communauté coloniale et incompris des naturels avec qui il vivait. Entre temps, il aurait dessiné, peint des toiles et gravé des bois.

C’est un peu court.

L’explication artistique de la représentation de ce monde vivant et coloré reste absente. Où est donc l’innovation et le rêve dans tout cela ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Gauguin fut le premier à peindre et faire aimer des « sauvages » dans leur milieu. Il a accrédité, par l’image, le mythe de la Nouvelle Cythère que chantaient les navigateurs, Bougainville, Cook et autres révoltés de la Bounty. Un beau sujet de film !

Marc Latham, 26 septembre 2017

11 janvier 1894. Gauguin s’expose dans « L’Atelier des Mers du Sud »

Hier soir, avec Annette, mon ami biterrois Calmel et sa copine Yvonou, nous sommes allés, rue Vercingétorix, à la première des jeudis de Gauguin dans son nouvel «Atelier des Mers du Sud». L’atelier lui-même est des plus étonnant. Les murs sont peints en jaune de chrome et les portes et fenêtres en vert olive. Sur les murs, les dernières œuvres du «Sauvage» et des toiles de ses amis Cézanne, Van Gogh et bien d’autres. Mon paysage de Villeneuve les Escaldes y figure aussi.

Dans l’assistance, sa nouvelle maitresse, Annah la javanaise et son singe Taoa, ses voisins, le compositeur William Molard et sa compagne la sculptrice Ida Ericson, le violoniste Upaupa Schneklud, Sérusier, le nabis sculpteur Lacombe, le poète Charles Morice. Il nous lit quelques passages de Noa Noa, les souvenirs de ses amours avec Tehura, qu’il est en train d’écrire. Il nous conte les légendes maoris, le charme de l’île heureuse, en poèmes sculptés dans des stèles de bois de fer ou déployés en peintures riches et précieuses.

Les Escaldes 1891, dit à tort Banyuls Landscape

Par la suite, certains journalistes parleront de débauche au cours de ces réunions, avec consommation d’absinthe et autres alcools. Mes souvenirs sont clairs à ce sujet. Les bouteilles, la verte, se réduisaient à la traditionnelle tasse de thé que les amis de Gauguin, M. et Mme Wiliam Molard, ses voisins, confectionnaient sur le poêle, et dont, tout en devisant, chacun prenait sa part à sa guise. On faisait presque toujours de la musique classique. Le compositeur Delius, de son air aimable accompagnait un violoniste norvégien pour une sonate de Beethoven ou exécutait quelques œuvres de Grieg. Dans ce milieu, Gauguin perdait toute son arrogance farouche, se montrait bon enfant, accueillant et simple.

Paul Gauguin : Couverture de Noa Noa préparée durant son séjour parisien.

Je me mets à rêver à ces moments précieux et au destin de cet homme révolté. Il a quitté famille, amis, pays et un métier rémunérateur pour s’exiler vers ses paradis exotiques et y pratiquer son art. En serai-je capable ? Non, bien sûr. Je ne l’ai même pas suivi en Bretagne où la compagnie était des plus relevées. Mais j’adore rêver d’aventures et là, Gauguin m’en donne plein les yeux et les oreilles.

Rêver oui, mais avec Gauguin j’ai toujours peur d’une trop grande intimité car le Tahitien est un mufle. Il n’y a qu’à voir comment il s’est comporté avec «Schuff». Ce tableau de «La famille Schuffenecker» avec madame qu’il aurait tenté de séduire, en personnage dur et méprisant. Ou encore cette pauvre Juliette Huet qu’Annette lui a présenté et qu’il a peint dans le tableau «La perte du pucelage». Il le lui a fait perdre ce pucelage et lui a même fait un enfant. Décidément non. Je veux bien m’occuper de lui quand il est à Tahiti, mais j’ai trop peur des dégâts que peut faire cet homme dans un ménage, en particulier avec Annette qui a été son modèle.

George Daniel alias Marc Latham, Thou le 27 janvier 2017